Erika Cupit, designer, nous explique en quoi se former au design est essentiel pour accompagner et mettre en oeuvre des projets d’innovation sociale.
Les méthodologies du design s’appliquent au domaine social en tant que puissant levier d’innovation sur des projets concrets de territoire. Pour comprendre ce qu’est le design appliqué à l’innovation sociale, notre nouvelle formation Design Social Labs, alliant design et innovation sociale, part à la rencontre des professionnels du Design Social.
A CY école de design nous avons lancé 2 nouvelles formations post diplôme et executive pour toucher au Design Social : Les design Social Labs et le D.U. Design & Innovation Sociale
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Erika Cupit, designer d'expérience utilisateur et designer sociale, exerce son métier dans différents contextes : institutions publiques, entreprises, associations.
Très tôt, elle a ressenti le besoin de mettre du sens dans son métier de designer et de collaborer à des projets qui répondent aux enjeux sociétaux. Elle nous partage son expertise et son expérience pour mieux comprendre ce qu’est le design social et les compétences nécessaires pour accompagner les projets d’innovation sociale.
Bonjour Erika, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Erika Cupit, je suis designer d'expérience utilisateur et designer social. J’ai aussi un profil d’entrepreneure sociale par mon agence de design, iun Designs et mon association pour le design et le Bien-vieillir Novum Novem.
Je travaille au sein de la Mission Innovation Territoriale du département de Seine-Saint-Denis. J’anime aussi Design & Collectivité, un média et une plateforme de formation d'accompagnement les professionnels de l’innovation sociale.
Qu’est ce que le métier de designer ?
Tout d’abord être designer c’est être concepteur.
Le design a pris son essor avec l'industrialisation. Le designer exerce la plupart du temps en entreprise avec l’objectif de proposer des produits ou services qui visent à améliorer le quotidien des humains et leur bien-être.
Historiquement, les designers étaient donc associés à ceux qui conçoivent des produits et des services. Aujourd’hui, on opère une transformation de nos métiers pour tendre vers un design stratégique et systémique. On n’est plus juste exécutant, mais on va aussi accompagner et penser le projet de A à Z, ainsi que ses impacts sur le territoire.
En tant que designer, on est vraiment un métier où on pense l'ensemble du projet : on a la capacité de conseiller, de faire, d'accompagner et de tester les solutions que l’on propose.
Plus spécifiquement qu’est ce que le métier de designer social ?
Lorsque le designer conçoit des innovations avec les usagers et les acteurs du territoire pour répondre à des besoins sociétaux (santé, éducation, accès au droit, bien-vieillir, environnement…). C’est que l’on appelle l’innovation sociale.
Il y a différentes facettes dans l'innovation sociale et ça repose beaucoup sur des mécanismes de coopération entre différents acteurs. Cela peut s’apparenter à designer la complexité et des modes collaborations.
Le design social est motivé par un objectif sociétal.
Les designers qui collaborent à des projets d’innovation sociale travaillent souvent pour des institutions publiques, des associations ou des entreprises de l’économie sociale et solidaire.
Tu veux dire que le design social est une nouvelle forme du design ?
C’est plus un retour aux sources et aux fondements du design qui vise à améliorer le bien-être et les conditions de vie des êtres humains.
Historiquement, le design s’est développé par les architectes, comme Charlotte Perriand ou Le Corbusier, qui étaient à la fois architectes et designers de mobiliers.
Petit à petit, le spectre du design s’est élargi avec le graphisme, le design d'espace, le design de produits, le design de mode, etc. Pour faire face aux évolutions de la société, le design est devenu plus hybride, en associant différentes spécialités entre elles : c’est l'avènement du design de service. Un mélange entre le design de produit, le design graphique, le design d’interface ou encore le design d’espace. Par exemple, on peut être à la fois designer de mode mais aussi designer textile ou designer d'espace.
Le design a ensuite (ré)investi des sujets plus sociétaux en devenant plus transdisciplinaire.
Le design social s'appuie sur les sciences sociales comme l'anthropologie ou la sociologie. L’hybridation du design avec d’autres corps de métiers peut s’appliquer dans beaucoup d’autres contextes comme par exemple le design pédagogique pour repenser des méthodes d’enseignement. Plus le design essaie d'aller sur des terrains qu’il ne connaît pas, plus il acquiert des expertises nouvelles en collaborant avec d'autres acteurs.
Le design s'adapte à la société dans laquelle nous vivons et à ses préoccupations.
Quelles sont les perspectives du design social ?
Actuellement, on assiste à une transformation de la société autour de la transition écologique et de l'éthique. Le design social va avoir de plus en plus de place. On voit émerger de nouvelles formations qui ont pour objet l'innovation sociale ou plus largement l'impact sociétal.
Le design social est en plein essor tout comme d'autres formes de design plus centrés sur des enjeux stratégiques et globaux en lien avec l'innovation et les révolutions industrielles (intelligence artificielle, révolution numérique…).
“Pour moi, le design social, c'est l'avenir”
Peux-tu donner des exemples de projets d’innovation sociale ?
Il y a plusieurs types de projets possibles.
On peut développer un projet d’innovation sociale à partir d’une observation de terrain. Dans le cadre du Concours Design Zéro déchet du Syctom, j'ai conçu un mobilier [une table qui se transforme en banc public] avec le designer Franck Magné pour réutiliser les invendus du marché, au profit de familles et des personnes qui ont besoin de se nourrir à moindre coût, voire gratuitement.
Pour la Mission Innovation Territoriale du Département de Seine-Saint-Denis, nous avons mené des projets émanant de sollicitations des directions plutôt orientés sur du design de service public. Par exemple, on a accompagné un projet autour de la constitution de Comités usagers. Ce sont des instances dans lesquelles les usagers des circonscriptions d'actions sociale vont pouvoir participer, poser des questions et développer des projets.
Avec mon association Novum Novem, spécialisée dans le design et dans le bien vieillir, nous avons un projet de recherche-action pour lutter contre l'âgisme, c’est à dire la discrimination sur l'âge. Avec différents acteurs du territoire, nous avons organisé des ateliers pour comprendre les mécanismes de discrimination. Cela a donné lieu à un jeu de société pour lutter contre l’âgisme et aider à identifier les impacts et les évolutions des comportements des personnes.
L'innovation sociale s'exprime surtout dans le champ de l'action publique, dans les collectivités par exemple. Les entreprises peuvent-elles concevoir des projets d’innovation sociale ?
L’innovation sociale est partout en soi. C’est une question d’objectif et d’impact recherché : est-ce que, ce que j'essaie de concevoir, c'est uniquement pour moi, pour faire de l'argent ou est-ce que j'essaie d'aider des personnes ? De faire en sorte qu'il y ait une équité, de réponse à des besoins sociaux ?
Ce qui importe, c’est ce que notre solution apporte au collectif et à l'intérêt général.
“En tant que designer social,
on a envie d'avoir un impact positif sur autrui
et on est plutôt orienté sur les communs.”
Quels sont les principaux éléments clés de réussite d’un projet d’innovation sociale ?
On est tous capables de penser, d’avoir des idées mais très peu sont capables de faire des choses. Il faut donc savoir concevoir une idée et/ou manager des personnes pour qu'ils puissent la mettre en œuvre ou encore s'entourer de personnes qui sont capables de nous aider à rendre concrète la solution. C’est là où se situe la vraie difficulté notamment dans les projets d'institution publique.
Il faut aussi aller au-delà des préconisations ou des cahiers d'idées. On tend de plus en plus vers du prototypage et de l'expérimentation. L'objectif de l’expérimentation est de travailler en mode essai-erreur et de faire des itérations.
Enfin, il faut essayer d'aller le plus vite possible sur le terrain et de tester, de se trouver et de recommencer. Cependant, l'innovation sociale à des temporalités qui sont longues car il faut pouvoir mobiliser les parties prenantes. La difficulté réside dans le fait que les personnes (re)découvrent les usagers et qu’ils vont devoir les impliquer dans la conception de services.
Parfois même le terme d'innovation fait peur alors même qu'innover c’est avant tout répondre à un problème.
Quelles sont les compétences essentielles pour accompagner les projets d'innovation sociale, même si on n'est pas designer ?
Les compétences du design en matière de conception et de résolution de problèmes peuvent s’appliquer à tous les secteurs.
Le designer peut être à la fois dans une posture d'expertise stratégique, méthodologique et technique (il conçoit des choses) et dans une posture de facilitation ou de médiation.
Dans l'innovation sociale, il y a un vrai enjeu de coopération entre différents métiers. Le designer social intervient en tant que médiateur-facilitateur; il est un des maillons de la chaîne, on est sur une œuvre collective.
Ce qui est considéré comme des compétences douces ou des savoirs-être par beaucoup de métiers (ex : l'écoute, la créativité…) sont le coeur d'expertise des métiers du design. Par exemple, Brigitte Borja de Mozota, chercheuse en design, a montré que l’empathie [être à l’écoute de l’usager comme du commanditaire] est une expertise essentielle des designers.
Quels sont les différents métiers et profils de postes associés à l’innovation sociale ?
J'ai identifié 4 grands types de métiers de l’innovation sociale qui sont pour moi essentiels et sans lesquels le designer ne pourra pas atteindre son but :
les métiers qui coordonnent l'innovation. Ce peut être par exemple un directeur d'un laboratoire d'innovation ou d'une structure qui a vocation à innover.
les métiers qui accompagnent l'innovation, comme les consultants en innovation ou les formateurs.
les métiers de conseils qui nourrissent l'innovation, par exemple les sociologues qui sont de plus en plus associés pour développer des projets.
les métiers liés à la facilitation. Ils interviennent dans le processus du projet. Sur un problème de management d'équipe par exemple, on pourra solliciter des coachs. Dans l'innovation sociale, les projets sont tellement complexes et avec des problématiques humaines que l’on a besoin de spécialistes de la relation. On peut parler aussi des médiateurs culturels qui exercent un métier qui existe depuis longtemps. Le travail qu'ils font est aussi un travail de facilitation.
Pour qu’un projet émerge, il faut donc créer les conditions favorables à l’innovation ? Par exemple mettre en place des formes collaboratives et d'intelligence collective ?
Totalement, j'ai conscience que pour avoir une vraie transformation par le design, il faudrait qu'il y ait au moins la moitié de la structure voire les 2/3 qui soient initiés et/ou formés au design. Il y a besoin d'une transformation de culture dans les institutions publiques, les entreprises et les associations. Pour augmenter son impact systémique, le design va devoir très rapidement s'associer aux autres métiers de l'innovation.
“ Le design n'existe pas seul, il existe parce qu'il y a
des personnes qui sont sensibles à des méthodes créatives, sensibles à l'humain et qui ont envie de faire autrement.”
Quelle serait la formation idéale au design pour les non designers ?
C’est une formation qui allie à la fois les méthodes créatives et un ensemble de méthodes propres au design.
Bien souvent, notre approche de designer est orientée autour d'un projet ; on transforme en problème en opportunité et donc en projet. On a développé des méthodes d'accompagnement, certains pourront dire qu'elle s'inspire du design thinking. Je dirais plutôt qu'elle s'inspire du double diamant. C'est une méthode qui n’est pas linéaire, dans laquelle on fait des allers-retours entre des phases où on explore le besoin de notre utilisateur ou commanditaire avec des phases de résolution de problème.
Mais la méthode ne suffit pas. Au-delà d’une méthode, le design c’est une posture. Ce qui compte c'est que le designer ou l’expert qui accompagne l’innovation sociale puisse lui-même concevoir sa propre méthodologie d'accompagnement en fonction du projet.
“Etre un bon designer, c'est avoir réussi à développer suffisamment ses compétences créatives et son empathie pour réussir à trouver des solutions.”
" Le design est pluriel et protéiforme."
CY école de design propose une nouvelle formation : les Design Social Labs, 5 mois pour expérimenter le design et se confronter au terrain sur des projets concrets. Qu'est-ce que ça t'inspire et qu'est-ce que tu recommanderais à des apprenants qui s'engageraient dans ce semestre ?
Je vous dirais bravo !
Vous allez expérimenter quelque chose de nouveau et cela va vous aider à avoir une vision différente de ce que vous faites ou produisez déjà. C'est un cadre d'expérimentation bienveillant, dans lequel vous avez un temps court, bien délimité, avec des accompagnateurs qui vont vous aider à développer des projets qui font du sens. L'avantage est de pouvoir se confronter à des besoins réels avec des acteurs du territoire.
As-tu des ouvrages à recommander ?
Actuellement je lis “Méthodes de design UX” de Carine Lallemand que je recommanderais pour le design d'expérience utilisateur centré numérique.
J’aime beaucoup aussi le livre de Tuuli Mattelmaki sur les "designs probes" (en anglais).
Les design probes [ou sondes culturelles en français] sont des outils puissants pour explorer d’autres formes de co-création. Ils nous permettent de sortir du “tout atelier” et de co-créer en asynchrone. Vous outillez vos usagers avec des instruments d’enquête comme un carnet de notes ou un appareil photo pour qu’ils récoltent leurs besoins. Cela permet d'avoir des immersions qui sont plus fines et d'avoir des idées qui sont beaucoup plus approfondies.
Pour terminer Erika, si on te cherche, où est-ce qu'on te trouve ?
Au sein de la Mission Innovation Territoriale du Département de Seine-Saint-Denis pour la partie design des services publics.
A la Normandie Design Week avec mon association Novum Novem, un laboratoire de recherche-action en design sur le bien-viellir.
Sur mon média et ma plateforme de coaching, Design & Collectivité pour tout ce qui est blog, formation et podcasts. Je donne aussi des ateliers en ligne pour aider les personnes à développer leur projet et leur carrière professionnelle dans ce domaine, qu'il soit ou non designer.
Au sein de mon agence de design social iun Designs, pour collaborer ensemble sur de beaux projets à impact.
J’adore parler avec les gens, donc vous pouvez me contacter facilement sur LinkedIn, Youtube ou prendre rendez-vous sur mon site Internet via la rubrique coaching et mentorat !
Merci Erika!
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